Se servir de l'envie de perdre du poids

Santé : Obésité, surpoids : des filons qui peuvent rapporter gros

Les déclarations de Pierre Dukan, qui attribue la responsabilité de l’explosion de l’obésité à la destruction de la famille font réagir Catherine Grangeard, psychanalyste à Beynes.

24/06/2015 à 16:24 par patrick.wassef
Catherine Grangeard, psychanalyste à Beynes, est aussi auteure de “Comprendre l’obésité” et membre du think tank “ObésitéS”,
Catherine Grangeard, psychanalyste à Beynes, est aussi auteure de “Comprendre l’obésité” et membre du think tank “ObésitéS”,
Les déclarations de Pierre Dukan sur RMC l’ont fait  bondir. L’ex -médecin nutritionniste (exclu par l’ordre des médecins) expliquait en effet l’explosion de l’obésité et du surpoids par la destruction de la famille, due à l’apparition du planning familial, l’invention de la pilule, et… au mariage pour tous. «Marche par marche, on détruit la famille» déclarait-il.

Les féministes responsables du surpoids ?

Psychanalyste, auteure de “Comprendre l’obésité” (Ed. Albin-Michel) Catherine Grangeard s’insurge. «Pierre Dukan est un spécialiste du genre. Il aime se faire remarquer et c’est un “bon client” pour les plateaux télé. Soit. Mais lier les problèmes de poids avec le planning familial, l’évolution de la famille, et le mariage pour tous, expliquer que c’est pour ces raisons que l’on mangerait trop, c’est inconcevable ! »
Comble pour un “nutritionniste” : «Il ne dit rien de l’industrie agroalimentaire, ne fait aucune critique d’ordre diététique, ne dit pas un mot sur la nourriture,  mais met en avant l’évolution, qu’il juge négative, du modèle familial patriarcal, pour expliquer les comportements alimentaires  !»
Et, il n’est pas le seul. En introduction de son livre “La Peur de Grossir”, Bernard Waysfeld impute aux mouvements féministes l’origine des troubles des comportements alimentaires :  «Dans la mouvance du courant féministe, le rejet des formes rondes impose aux femmes une minceur généralement peu compatible avec leur physiologie…», écrit-il. Ou encore : «Marquées par le courant féministe des années 70, elles ont imposé à leur fille un corps mince, conforme à l’image “top model” dont elles rêvaient pour elles-mêmes.» «Une féministe qui rêve d’être top model ? Un non-sens», souligne Catherine Grangeard.
Et de poursuivre : «Dans un article de L’Express, Gérard Apfeldorfer fait remonter “le contrôle du poids aux suffragettes qui voulaient se transformer en égales des hommes”. On voit très bien à quoi ils font référence et quel est le soubassement idéologique de ce discours, poursuit la psychanalyste. Mais en quoi être médecin nutritionniste donne-t-il une compétence pour juger de cette évolution de la société ? Ils profitent de leur aura, et de leur savoir pour déborder de leur domaine et se placer sur le terrain idéologique. Ils énoncent ce genre de “vérité” du haut d’une compétence acquise ailleurs.» «Même si bien sûr, ajoute-elle, nous sommes d’accord pour dire que l’évolution de l’obésité est multifactorielle. Soyons sérieux : l’épidémie d’obésité planétaire est liée au féminisme qui régnerait partout dans le monde ?»

Une claque au serment d’Hippocrate ?

Qu’ils aient le droit d’avoir un avis ou une opinion, et qu’ils les disent, Catherine Grangeard ne le conteste pas, même si elle est profondément en désaccord avec ce discours. Mais, ajoute-t-elle, «ces hommes ont des patientes et je m’inquiète de ce qui se dit dans le secret du cabinet de consultation… N’est-ce pas aller à l’encontre du serment d’Hippocrate, qui demande au médecin de faire preuve d’une neutralité bienveillante vis-à-vis de leurs patients, lorsqu’il dit “Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté”, et “Je n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences” ?»

Conflits d’intérêts?

Par-delà les discours et l’idéologie, Catherine Grangeard pointe aussi certains comportements qui flirtent avec le conflit d’intérêts.
On sait que Pierre Dukan a été radié par le conseil de l’ordre des médecins parce que le conflit d’intérêts entre la pratique de la médecine et le fait d’avoir fait la promotion commerciale de son régime sous son nom était patent. Mais est-il le seul dans ce cas ?
«Je ne suis pas habilitée à répondre, prévient la psychanalyste, je ne suis ni le conseil de l’ordre, ni le ministère de la Santé… mais je lis les journaux et je vois que, dans différents dossiers, Le Monde parle des liens de certains médecins avec l’industrie agroalimentaire alors qu’ils critiquent, dans la “loi Santé”, le nouvel étiquetage permettant d’apprécier la valeur nutritionnelle des aliments. Idem, récemment : Le Canard Enchaîné les épingle sur leurs liens avec cette industrie.
Par ailleurs, mettons le nez sur des sites internet qui ne proposent pas de “régimes” mais des “programmes”.
C’est le cas de Line coaching.com. «Il y a ambiguïté car Jean-Philippe Zermati, nutritionniste et Gérard Apfeldorfer, psychiatre, utilisent leur nom pour apporter une caution de respectabilité, car matériellement, je ne vois pas comment ils peuvent être aux manettes et répondre à tous les internautes.»
Le site propose des conseils, évidemment payants, via des formules d’abonnement. «Ces deux médecins sont aussi deux des fondateurs du GROS (Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids), qui s’est inscrit dans une démarche critique vis-a-vis des régimes.»
En consultant ce site, on y trouve une “information” qui renvoie vers un autre site qui propose de coacher les problèmes de sommeil, lui-même animé par Gérard Apfeldorfer. «Ainsi, ce sont les besoins primaires – manger, dormir – qui sont visés. Cette politique commerciale est du genre agressive. Joseph, un de mes amis, avait visité le site du coaching alimentaire, mais ne s’était pas inscrit. “Elle” a été relancée systématiquement à Noël, à la Saint-Valentin et même à la Fête des mères. Pas de chance, c’était un homme…
Au-delà de l’anecdote, cela montre qu’ils appuient là où ça fait mal. Des médecins ont-ils à s’autoriser ce type de pratiques ?»
Et qu’en disent le conseil de l’ordre, le ministère de la Santé ?

Le poids… faux problème ?

Si l’obésité est un drame, personnel et social, «il n’y a pas de vrai problème à avoir un petit excès de poids, estime Catherine Grangeard. Il n’y a pas qu’un seul type de corps qui soit beau». Elle constate avec plaisir que certaines choses avancent. «Le fait qu’un IMC plancher (indice de masse corporelle) ait été fixé pour les défilés de mode empêchera peut-être que des jeunes filles s’identifient à des mannequins squelettiques. Même chose pour l’obligation d’indiquer qu’une photo est retouchée.»

IMC à géométrie variable

A noter que les directives en matière de corpulence, fondées sur l’IMC, ont changé ; depuis 1995, elles ont été abaissées. Ceux qui avaient un poids “normal” avant, sont brutalement devenus “en surpoids”. Ces normes servent d’étalon aux compagnies d’assurances pour calculer le montant des cotisations.
«Si nous restons avec les modèles actuels, on ne peut pas tenir, assure Catherine Grangeard. Cela donne lieu à des excès dans l’utilisation des médicaments comme l’a montré Irène Frachon dans son livre sur le Médiator, ou à une multiplication des régimes. Or, 95% d’entre eux ne sont pas tenables.»
Des solutions concrètes ? «Préférer les productions locales à ce que propose l’agroalimentaire et, en Ile-de-France, protéger les terres agricoles. Pourquoi ne pas encourager les villes à mettre en place des jardins familiaux, à proposer des parcelles à leurs habitants ? Ils produiraient leurs légumes, rompraient l’isolement, éviteraient l’ennui, la sédentarité… tous facteurs d’obésité. La demande existe. Les AMAP ne peuvent répondre aux commandes faute de terrains pour cultiver… »
Et plutôt que de se dire «Il faut maigrir pour entrer dans mes vêtements, et en souffrir en termes d’estime de soi, demander aux stylistes de travailler sur des vêtements qui conviennent à une majorité de personnes».
Et respecter ce principe fondamental : «ne pas nuire» en propageant «des idéologies malsaines, des images totalitaires, ou en créant des marchés envahissants et agressifs». Fabriquer de l’obésité n’est pas inéluctable !

Beynes, 78
patrick.wassef

Se servir de l'envie de perdre du poids Se servir de l'envie de perdre du poids Reviewed by Catherine Grangeard on juin 25, 2015 Rating: 5

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